Qui dit Ilinois, c'est comme qui diroit en leur langue, les hommes, Comme si les autres Sauuages, aupres d'eux ne passoient que pour des bestes, aussi faut-il aduoüer qu'ils ont un air d'humanité que nous n'auons pas remarqué dans les autres nations que nous auons veuës sur nostre route. Le peu De séjour que jay fait parmy Eux ne m'a pas permis de prendre toutes les Connoissances que j'aurois souhaité; de toutes Leurs, façons de faire voicy ce que j’en ay remarqué.
Ils sont diuisés en plusieures bourgades dont quelqu'es vnes sont assés éloignées de celle dont nous parlons qui s'appelle peoüarea, c'est ce qui met de la difference en leur langue laquelle vniuersellement tient de l'allegonquin de sorte que nous nous entendions facilement les vns les autres. Leur naturel est doux et traitable, nous l’auons Experimenté dans, la reception qu'il nous ont faitte. Ils ont plusieurs femmes donts ils sont Extremement jaloux, ils les veillent auec vn grand soin et ils Leurs Couppent Le néz ou les oreilles quand elles ne sont pas sages, j’en ay veu plusieures qui portoient les marques de leurs désordres. Ils ont le Corps bien fait, ils sont lestes et. fort adroits, a tirer de l'arc et de la fleche, Ils se seruent aussi des fusils qu'ils acheptent des sauuages nos alliés qui ont Commerce auec nos françois; Ils en usent particulierement pour donner L’épouuante par le bruit et par la fumée a leurs Ennemys, qui n'en n'ont point L‘usage, et n'en ont jamais veu pour estre trop Éloigné vers le Couchant. Ils sont belliqueux et se rendent redoutables aux peuples Éloignés du sud et de L oüest où ils vont faire des Esclaues, desquels ils se seruent pour trafiquer, les vendant cherement a d'autres Nations, pour d'autres Marchandises. Ces Sauuages si Eloignes chez qui ils vont En guerre n'ont aucune Connoissance d'Europeans; ils ne scauent a que c'est ny de fer n'y de Cuiure, et n'ont que des Cousteaux De pierre. quand les Ilinois partent pour aller en guerre, il faut que tout le bourg en soit aduertÿ par le grand Cry qu'ils font a la porte de leurs Cabanes, le soir et Le Matin auant que de partir. Les Capitaines se distinguent des soldatz par des Escharpes rouges qu'ils portent, elles sont faittes de Crin d'ours et du poil de bœufs sauuages auec assés d'Industrie, ils se peignent le visage d'un rouge de sanguine, dont il y a grande quantité a quelques journées du bourg. ils viuent de chasse, qui est abondante en ce pays et de bled d'inde dont ils font tousjour une bonne recolte, aussi n'ont-ils jamais souffert de famine, ils sement aussi des febues et des melons qui sont Excellentz, surtout ceux qui ont la graine rouge, leurs Citrouilles ne sont pas des meillieures, ils les font secher au secher au soleil pour les manger pendant L'hyuer et le primptemps, Leurs Cabanes sont fort grandes, elles sont Couuertes et pauées de nattes faittes de Joncs; Ils trouuent toutes Leurs vaisselle dans le bois et Leurs Cuilliers dans la teste des bœufs dontz ils sçauent si bien accommoder le Crane qu'ils s'en seruent pour manger aisement leur sagamité.
Ils sont liberaux dans leurs maladies, et Croÿent que les medicamens qu'on leurs donne, operent a proportion des presens qu'ils auront fais au medicin. Ils n'ont que des peaux pour habitz, les femmes sont tousjours vestuës fort modestement et dans une grande bien seance, au lieu que les hommes ne se mettent pas en peine de se Couurir. Je ne scais par quelle superstition quelques Ilinois, aussi bien que quelques Nadoüessi, estant encor jeunes prennent l’habit des femmes qu'ils gardent toute leur vie. Il y a du mystere; Car ils ne se marient jamais, et font gloire de s'abbaisser a faire tout ce que font les femmes; ils vont pourtant en guerre, mais ils ne peutient se seruir que de la massuë, et non pas de l'arc n'y de la flêche qui sont les armes propres des hommes, ils assistent a toutes les jongleriës et aux danses solemnelles qui se font a l'honneur du Calumet, ils y chantent mais ils n'y peuuent pas danser, ils sont appellés aux Conseils, ou l’on ne peut rien decider sans leurs aduis; Enfin par la profession quils font d'une vie Extresordinaire, ils passent pour des Manitous C'est a dire pour des Genies ou des personnes de Consequence.
Il ne reste plus qu'a parler du Calumet, il n'est rien parmy eux ny de plus mysterieux n'y de plus recommandable, on ne rend pas tant d honneur aux Couronnes et aux sceptres des Roÿs qu'ils luy en rendent; il semble estre le Dieu de la paix et de la guerre, l'Arbitre de la vie et de la mort. C'est assez de le porter sur soy et de le faire voir pour marcher en assurance au milieu des Ennemÿs, qui dans le fort du Combat mettent bas Les armes quand on le montre. C'est pour Cela que les Ilinois m'en donnerent un pour me seruir de sauuegarde parmy toutes les Nations par lesquelles je deuois passer dans mon voÿage. il y a un Calumet pour La paix et un pour la guerre, qui ne sont distingués que par la Couleur des plumages dontz ils sont ornés: Le Rouge est marque de guerre, ils s’en seruent encor pour terminer Leur differents, pour affermir Leurs alliances et pour parler aux Estrangers. Il est composé d'une pierre rouge polie comme du marbre et percée d'une telle façon qu'un bout sert à recevoir le tabac et l'autre s'enclave dans le manche, qui est un baston de deux pieds de long, gros comme une canne ordinaire et percé par le milieu; il est embelly de la teste et du col de divers oiseaux, dont le plumage est tres beau; ils y ajoutent aussi de grandes plumes rouges, vertes et d'autres couleurs, dont il est tout empanaché, ils en font estat particulièrement, parcequ'ils le regardent comme le calumet du Soleil; et de fait, ils le luy presentent pour fumer quand ils veulent obtenir du calme, ou de la pluye, ou du beau temps. Ils font scrupule de se baigner au commencement de 1'Esté, ou de manger des fruits nouveaux qu'après l’avoir dancé. En voicy la façon.
La dance du Calumet, qui est fort celebre parmi ces peuples, ne se fait que pour des sujets considerables; quelquefois c'est pour affermir la paix, ou se reünir pour quelque grande guerre; c'est d'autres fois pour une réjouissance publique, tantost on en fait honneur à une Nation qu'on invite d'y assister, tantost ils s’en servent à la reception de quelque personne considerable, comme s'ils vouloient luy donner le divertissement du Bal ou de la Comedie; l'Hyver la ceremonie se fait dans une Cabane, l'Esté c'est en raze campagne. La place étant choisie, on l'environne tout l'entour d'arbres pour metre tout le monde à l'ombre de leurs feüillages, pour se défendre des chaleurs du Soleil; on étend une grande natte de joncs peinte de diverses couleurs au. milieu de la place; elle sert comme de tapis pour mettre dessus avec honneur le Dieu de celuy qui fait la Dance; car chacun a le sien, qu'ils appellent leur Manitou, c'est un serpent ou un oyseau ou chose semblable, qu'ils ont resvé en dormant et en qui ils mettent toute leur confiance pour le succez de leur guerre, de leur pesche et de leur chasse: près de ce Manitou, et à sa droite, on met le Calumet en l'honneur de qui se fait la feste et tout à l’entour on fait comme une trophée et on étend les armes dont se servent les guerriers de ces Nations, sçavoir la massüe, la hache d'arme, l'arc, le carquois et les fleches.
Les choses estant ainsi disposées et l’heure de la Dance approchant, ceux qui sont nommez pour chanter prennent la place la plus honorable sous les feüillages: ce sont les hommes et les femmes qui ont les plus belles voix, et qui s'accordent parfaitement bien ensemble, tout le monde vient en suite se placer en rond sous les branches, mais chacun en arrivant doit salüer le Manitou, ce qu'il fait en petunant et jettant de sa bouche la fumée sur luy comme s'iI luy presentoit de l'encens; chacun va d'abord avec respect prendre le Calumet et le soutenant des deux mains, il le fait dancer en cadence, s'accordant bien avec l’air des chansons; il luy fait faire des figures bien differentes, tantost il le fait voir à toute l'assemblée se [le-Martin] tournant de coté et d'autre; après cela, celuy qui doit commencer la Danse paroist au milieu de l'assemblée, et va d'abord, et tantost il le presente au soleil, comme s'il le voulait faire fumer, tantost il l'incline vers la terre, d'autres fois [et tantôt - Martin] il luy étend les aisles comme pour voler, d'autres fois il l'approche de la bouche des assistans, afin qu'ils fument, le tout en cadence; et c'est comme la premiere Scene du Ballet.
La seconde consiste en un Combat qui se fait au son d'une espece de tambour, qui succede au chansons, ou mesme qui s'y joignant, s'accordent fort bien ensemble: le Danseur fait signe à quelque guerrier de venir prendre les armes qui sont sur la natte et l’invite a se battre au son des tambours: celui-cy s'approche, prend l'arc et la flêche, avec la hache d'armes et commence le duël contre l’autre, qui n'a point d'autre défense que le Calumet. Ce spectacle est fort agreable, sur tout le faisant toûjours en ,cadence; car l'un attaque, l’autre se deffend; l'un porte des coups, l'autre les pare; l'un fuit, l'autre le poursuit et puis celuy qui fuyoit tourne visage et fait fuïr son ennemy; ce qui se passe si bien par mesure et à pas comptez et au son réglé des voix et des tambours, que cela pourrait passer pour une assez belle entrée de Ballet en France. La troisieme Scene consiste en un grand Discours que fait celuy qui tient le Calumet, car le Combat estant fini sans sang répandu, il raconte les batailles où il s’est trouvé, les victoires qu'il a remportées; il nomme les Nations, les lieux et les Captifs qu'il a fait; et pour recompense celuy qui préside à la Danse luy fait present d'une belle robe de Castor, ou de quelqu'autre chose et l’ayant receu il va presenter le Calumet à un autre, celui-ci à un troisième, et ainsi de tous les autres, jusques à ce que tous ayant fait leur devoir, le President fait present du Calumet mesme à la Nation qui a esté invitée à cette Ceremonie, pour marque de la paix eternelle qui sera entre les deux peuples.
Voicy quelqu'une des Chansons qu'ils out coûtume de chanter, ils leur donnent un certain tour (ton -Martin] qu'on ne peut assez exprimer par la Notte, qui neanmoins en fait tout la grace.