SECTION 4eme. DE LA GRANDE RIUIERE APPELLÉE MISSISIPI SES PLUS NOTABLES PARTICULARITÉS, DE DIUERS ANIMAUX ET PARTICULTEREMENT DES PISIKIO’JS OU BŒUFS SAUUAGES, LEUR FIGURE ET LEUR NATUREL, DES PREMIERS VILLAGES DES ILINOIS OÙ LES FRANCOIS ARRIUIENT. { Retourner à la page Marquette } Nous voyla donc sur cette Riuiere si renommée dont iay taché d'en remarquer attentiuement toutes les singularités; La Riuiere de Missisipi tire son origine de diuers lacs qui sont dans le paÿs des peuples du Nord, elle est estroitte a sa décharge de Miskous; son Courant qui port du Costé du sud est lent et paisible, a la droitte on voist vne grande Chaisne de Montagnes fort hautes et a la gauche de belles terres, elle est Couppée d'Isles en diuers Endroictz; En sondant nous auons trouués dix brasses d'Eaux, sa Largeur est fort inegale, elle a quelque fois trois quartz de lieuës et que1quefois elle se rétressit jusqua trois arpens. Nous suiuons doucement son Cours, qui va au sud et au sudest jusquaus 42 degrés d'Eleuation. C'est icy que nous nous apperceuons bien qu'elle a tout changé de face; Il ny a presque plus de bois n'y de montagnes, Les Isles sont plus beles et Couuertes de plus beaux arbres; Nous ne voions que des cheureils et de vaches, des outardes et des Cygnes sans aisles, parcequ'ils quittent Leurs plumes en Ce paÿs: Nous rencontrons de temps en temps des poissons monstrueux, vn desquéls, donna si rudement Contre nostre Canot que je Crû que c'estoit un gros arbre qui L'alloit mettre en pièces vne autrefois nous apperceûmes sur L'eau vn monstre qui auoit vne teste de tygre, les néz pointu. Comme Celuy d'un chat sauuage, auec la barbe & des oreilles droittes, Éleuées en haut, La teste estoit grize et La Col tout noir, Nous n'en vismes pas d'auantage. quand nous auons jetté nos retz a 1'eau nous auons pris des Esturgeons at une Espece de poisson fort extresordinaire, il ressemble a la truitte auec Cette difference qu'il a la geule plus grande, il a proche du nez qui est plus petit aussi bien que les yeux vne grande Areste faite Comme vn bust de femme, large de trois doigts, Long d'une Coudée, au bout de laquelle est vn rond Large Comme la main. Cela l'oblige souuent an saultant hors de l’eau de tomber an derriere. Estant descendus; jusqua 41 degrés 28 minuittes suiuant Le mesme rund, nous trouuons que les Coqs d'inde ont pris la place du gibier, at les pisikious ou bœufs sauuages, Celle des autres bestes.
Nous les appelons bœufs sauuages; parcequ'ils sont bien semblables a nos bœufs domestiques, ils ne sont pas plus longs mais ils sont pres d'une fois plus gros et plus Corpulentz; Nos gens en ayant tué vn trois personnes auoient bien de la peine a le remüer, ils ont la teste fort grosse, Le front plat et Large d'un pied at demy entre les Cornes qui sont entierement semblables a Celles de nos bœufs, mais elles sont noires et beaucoup plus grande, Ils ont sous le Col Comme vne grande falle, qui pend en bas et sur Le dos vne bosse assez éleuée. Toute la teste, Le Col, et une partie des Espaules sont Couuertez d’un grand Crin Comme Celuy des cheuaux, C'est une hûre longue d'un pied, qui les rend hideux at leur tombant sur les yeux les Empéche de voire deuant Eux; Le reste du Corps est reuetu d'un gros poil frisé a peu pres Coffie Celuy de nos moutons, mais bien plus fort et plus Espais, il tombe en Esté et La peau deuient douce Comme du Velours. C'est pourlors que les sauuages les Emploÿent pour s'en faire de belles Robbes, qu'ils peignent de diuerses Couleurs; la chair et la graisse des pisikious est Excellente et fait le meillieur mets des festins au reste ils sont tres méchants et il ne se passent point d'année qu'ils ne tuent quelques sauuages quand on vient les attaquer, ils prennent s'ils peuuent un homme auec leurs Cornes, L'enleuent en l’air puis ils le jettent contre terre, le foulent des pieds et le tuent, si on tire de loing sur Eux ou de larc ou du fusil, il faut si tost apres le Coup se jetter a terre et se cacher dans 1'herbe, Car s'ils apercoiuent Celuy qui a tiré, ils ,Courent apres et le vont attaquer, Comme ils ont les pieds gros et assez Courtz ils ne vont pas bien viste pour l'ordinaire, si ce n'est lorsqu'ils sont irritez. Ils sont espars dans les prairies Comme des troupeaux j'en ay veu vne bande de 4oo.
Nous auancons tousjours mais Comme nous ne scauions pas où nous allions ayant fait déia plus de Cent lieuës sans auoir rien découuert que des bestes et des oÿseaux nous Nous tenons bien sur nos gardes; Cest pourquoy nous ne faisons qu'un petit feu a terre sur le soir pour preparer nos repas, et apres sofûper nous Nous en eloignons le plus que nous pouuons, at nous allons passer la nuict dans nos Canotz que nous tenons a l’ancre sur la riuiere assez loing des bords; Ce qui n'empêche pas que qu'elquun de nous ne soit tousjour en sentinelle de peur de surprise, allant par le sud et le sud suroüest nous nous trouuons a la hauteur de 40 degréz et jusqua 4o, degrez quelques minutes en partie par sudest et en partie par le suroüest. Apres auoir auancé plus de 6o lieües depuis Nostre Entrée dans la Riuiere sans rien découurir.
Enfin le 25e. Juin nous aperceümes sur le bord de l’eau des pistes, d'hommes, et un petit sentier asséz battu qui entroit dans une belle prairie. Nous Nous arrestâmes pour l'Examiner, et jugeant que cestoit un chemin qui Conduisoit a quelque village de sauuages, Nous prîmes resolution de l’aller reconnoistre; nous laissons donc nos deux Canotz sous la garde de nos gens, Leur recommandant bien de ne se pas laisser surprendre, apres quoy Mr. Jollyet et moy entreprîmes cette découuerte assez hazardeuse pour deux hommes seuls qui s’exposent a la discretion d'un peuple barbare et Inconnu. Nous suiuons en silence. Ce petit sentier, et apres auoir fait Enuiron 2 lieuës, Nous découurîmes vn village sur le bord d'une riuiere, et deux autres sur vn Costeau escarté du premier d'une demi lieüe, Ce fut pour lors que, nous nous recommandâmes a Dieu de bon Cœur, et ayant imploré son secours, nous passâmes outre sans, être découuerts et nous vinsmes si près que nous entendions mesme parler les sauuages. Nous Crûmes donc qu'il estoit temps de nous découurir, ce que Nons fismes par vn Cry que nous poussâmes de toutes Nos forces, en nous arrestant sans plus avancer. A ce cry les sauuages sortent promptement de leurs Cabanes Et nous ayant probablement reconnus pour françois, sur tout voÿant une robe noire, ou du moins n'ayant aucun suject de deffiance, puisque nous n’estions que deux hommes, et que nous les auions aduertis de nostre arriuée, ils députerent quattre vielliards, pour nous venir parler, dontz deux portoient des pipes a prendre du tabac, bien ornées et Empanachées de diuers plumages, ils marchoient a petit pas, et éleuant leurs pipes vers le soleil, ils sembloient luy presenter a fumer, sans, neamoins dire aucun mot. Ils furent assez longtemps a faire le peu de chemin depuis leur village jusqu'a nous. Enfin nous ayant abordés, ils s'arresterent pour nous Considerer auec attention; je me r'assuray, voyant ces Ceremoniës qui ne se font parmy eux qu'entr'amys, et bien plus quand je les vis Couuertz d'Estoffe, jugeant par la qu'ils estoient de nos alliez. Je leurs parlay donc le premier, et je leurs demandaÿ qui ile estoient, ils me répondirent qu'ils estoient Ilinois, et pour marque de paix ils nous presenterent leurs pipes pour petuner, Ensuitte He nous inuiterent d'entrer dans leur Village, où tout le peuple nous attendoit auec impatience. Ces pipes a prendre du tabac s'appellent en Ce paÿs des Calumetz; ce mot s'y est mit tellement En vsage que pour estre entendu je seraÿ obligé de m'en seruir ayant a en parler bien des fois.